Cet album a beau débuter par une autocitation harmonique des Heures hindoues, c’est, dans l’ensemble, l’esprit de Serge Gainsbourg que le producteur Etienne Daho (accompagné de Jean-Louis Piérot) a voulu insuffler dans Oh! Pardon tu dormais... Chacune des chansons fait en effet écho à l’élégance suprême des mélodies de l’homme à la tête de chou, ainsi qu’à la sophistication de ses arrangeurs, Michel Colombier et Jean-Claude Vannier en tête. En mélangeant savamment rythmique pop et instruments classiques (Orchestre national d’Île-de-France, clavecin…), Daho dresse une carte nostalgique, mais moderne, de l’univers musical associé à Jane Birkin depuis les années 1960. D’ailleurs, à l’occasion de clins d’œil plus subtils, on croise également le précédent amour de Birkin, le compositeur de musique de film John Barry (le cymbalum façon Amicalement vôtre de Ces Murs épais).
Quant aux paroles écrites par la Franco-Anglaise (parfois cosignées Daho lui-même), elles s’engouffrent sans filtre dans les recoins les plus intimes, voire douloureux, de leur auteure. La vie de Jane Birkin est peuplée de fantômes (Ghosts) qu’elle tente – dans un esprit mi-cathartique, mi-indécent – de ressusciter. Mention spéciale à Cigarettes, qui évoque de manière curieusement explicite le suicide de sa fille Kate Barry en 2013. Le climat de la chanson est celui d’un roman noir rétro, sur une étrange pompe jouée par un piano bastringue à la Elisa… On retrouve également la folie douce de la chanteuse dans des morceaux plus légers, tels que Jeux interdits, dans lequel elle se remémore l’admiration de ses trois filles devant le célèbre film de René Clément. Enfin, si cet album crépusculaire évoque les anciennes amours de Jane Birkin, il fait aussi référence à son identité multiculturelle, qu’elle tente, là encore, d’exorciser (la cornemuse de A Marée haute, la présence de l’anglais dans certaines paroles…). Un album à la fois noir, mélancolique et impudique, un portrait intime qui balance tout avec classe. ©Nicolas Magenham/Qobuz