Élu « album de l'année » au Mercury Prize britannique dix mois après une sortie plutôt anodine, le premier opus de Young Fathers, Dead, avait causé une forte sensation en doublant des prétendants nommés Anna Calvi, Damon Albarn, FKA Twigs ou Royal Blood. À peine remis de ses émotions, le trio rap d'Édimbourg remet le couvert avec une deuxième livraison tout autant impressionnante, baptisée White Men Are Black Men Too.
Concassé comme une sculpture de César, le rap de Young Fathers accueille tout un pan d'influences et de sonorités variées que les deux chanteurs et musiciens Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole, et leur metteur en son Graham Hastings digèrent et recrachent à leur façon. Bribes de rock post-punk, échantillonnages electro, rythmiques tribales ou dub, bruitages montés en boucle, ces artisans du son travaillent leur matière en s'autorisant toutes les audaces et sans passer un instant pour des falsificateurs.
Si leur fusion rap n'a jamais manqué d'associations inflammables et d'un certain esprit hardcore, voire industriel, elle se révèle ici explosive dès le titre d'ouverture « Still Running » qui prend à la gorge. Plus entêté et extrêmiste que son prédécesseur, White Men Are Black Men Too visite la face sombre et rock de la force en douze morceaux puissants et évocateurs, comme « Feasting » et sa sirène hurlante sur fond de rythme labouré et de fusil mitrailleur, ou l'extrait « Rain or Shine » et son orgue psychotique. À côté, « 27 » apparaît comme une aimable chorale primitive.
Young Fathers ne donne ni dans le consensuel ni dans la facilité. Son mélange de sons abrasifs et stridents et de vocaux possédés libère des sensations fortes de prime abord repoussantes, jusqu'à ce que la magie opère au détour d'un sample de piano (« Nest »), d'une inflexion a cappella (« Sirens »), d'un choeur répétitif (le Leith Congressional Choir sur « Shame »). Il est ensuite difficile de revenir vers des formes plus classiques. Quand d'autres font tourner la planche à billets, Young Fathers écrit le futur du rap.
© Loïc Picaud / Music-Story