Guizmo

Guizmo

Artist, Contributor

On pourrait commencer par un gros cliché, comme « la valeur n’attend pas le nombre des années ». Et le pire, c’est que ça fonctionne : tous ceux qui se sont intéressé à la nouvelle scène du rap français ont compris que Guizmo, 21 ans aux prunes, a déjà marqué le genre avec sa plume de virtuose et son univers si particulier. Rappeur depuis toujours, il intègre le collectif L’Entourage, participe aux fameux Rap Contenders, multiplie les vidéos et écume les scènes, quelles qu’elles soient. « Il y a un charme dans ce parcours initiatique du MC. Pas du rappeur, du MC. C’est remarquable de se dire qu’avant de faire des disques, j’ai fait mon trou dans Paname, des fois par -20° avec une petite veste dans des open mics ou des squats jusqu’à 4 heures du mat. Manger le pavé du pe-ra, c’est nécessaire pour avoir des fondations solides et se confronter à soi-même » explique-t-il. Guizmo se considère « artiste actif » depuis 2011, année de sortie du premier album Normal. Guizmo a ses mentors : A Tribe Called Quest, 2Pac et Kool G. Rap pour les US, Dany Dan, Salif, Les X et Sir Doum’s pour les Français. Mais il comprend vite qu’il doit trouver sa propre voie. « Admettons que je fasse un bête d’album qui ressemble à Rick Ross et se vend bien, je serais assimilé à la musique d’un autre. Alors que si je fais du Guizmo, les gens me reconnaitront en tant que Guizmo. C’est le plus dur : faire sa propre musique, trouver son propre style ». Et le style est là, brillant, insolent. Il s’affine avec La Banquise, second LP sorti six mois après le premier, comme Guizmo l’avait promis dans une vidéo devenue culte. « Maman STP », émouvant sans être larmoyant, et « J’Aime la Nuit », construit autour d’un sample du « Thriller » de Michael Jackson, amènent Guizmo vers un public plus large. Mais il est déjà temps pour le jeune prodige de retourner en studio : six mois se sont écoulés, et le MC de Villeneuve-La-Garenne doit enregistrer son troisième disque. Fidèle à son team de beatmakers (DJ Konex, DJ Lord Mack, DJ Sims, Igoom) et à son équipe Zone Sensible (Yonea et Willy L’Barge), Guizmo se plonge dans son monde et va livrer son œuvre maitresse. Car C’Est Tout témoigne d’un coup d’accélérateur impressionnant pour un artiste aussi jeune. « Je me suis rendu compte que Guizmo est un personnage. Qui m’a rendu alcoolique, accro à la clope, qui m’a ouvert des tonnes de portes mais qui m’en a fermé des centaines au point de vue personnel. C’est lui qui va gagner parce qu’il a toujours été moi et j’ai toujours été lui ». Les textes sont introspectifs, délirants, originaux, visionnaires, marqués par la griffe Guizmo. Le single « Hip-Hop » retrace la destinée d’un passionné de rap « depuis l’âge de six ans » tandis que « Bitume » arpente le pavé avec en renfort Despo Rutti, « un grand monsieur que je respecte. J’adhère à son délire, et on est schizophrènes tous les deux ». Si Guizmo sait être cru, il n’en reste pas moins fin, comme en témoigne « Laetitia », un titre anti flics tout en douceur. Il y est question d’une femme de policier séduite par Guiz. Une superbe fiction. « Je n’ai pas serré la femme d’un flic. Mais une chose est sûre : ça les fera plus chier de croire que j’ai niqué une de leurs meufs que de m’entendre brailler “Je vais brûler le komiko“. Pour la police le rap c’est ça, les mecs de la rue kiffent mais eux ils s’en foutent. Moi je vais leur titiller le trou de balle. Et il n’y a pas de gros mots, je suis gentleman dans ce morceau ». Le clou de C’Est Tout ? Sûrement « Le Café », texte incisif sur un lieu crucial et parfois fatal. « C’est le café en bas de chez moi, c’est aussi le parcours des anciens, de mon père qui était accro au jeu, de tous ces gens qui foutent leur vie de famille en l’air pour les courses de PMU, fumer des clopes et boire des bières toute la journée. C’est un engrenage ouf qui fait souffrir, et il commence par un paquet de cigarettes. J’ai observé des mecs de 60 piges qui étaient là de 10h à 19h. C’est un morceau que je me devais d’écrire pour cette génération sacrifiée. On parle beaucoup du coin de rue, du hall, du quartier, mais le café est un centre d’intérêt dans le quartier même dont personne ne parle. Pourtant ça détruit des familles entières, je ne raconte rien de glorifiant sur cet univers-là ». Alors qu’on croyait avoir tout entendu, « C’Est Tout » vient clore l’album avec un lyric autobiographique de 7’30 dans lequel Guizmo se livre sans retenue, mêlant fond et forme avec une insolente aisance, racontant une enfance bousculée et un passé pas si simple. Un testament ? « C’est peut-être mon destin, laisser ma trace et crever vite », prophétise Guiz’. La trace est bien là, mais son auteur commet une erreur : elle s’inscrit dans la distance. Car Guizmo est là pour durer. Ça crève les yeux.