On jurerait l’ouverture d’un drame romantique de langue allemande. C’est d’ailleurs ce que la critique a reproché à Paul Dukas après la création de Polyeucte - Ouverture pour une tragédie de Corneille aux Concerts Lamoureux en 1892 : pas très ars gallica tout ça. Cette grande partition déploie en effet un lyrisme que le chantre de Bayreuth nous a habitués à associer aux forêts des légendes germaniques – et pas à l’alexandrin de Corneille. Ainsi, le thème désolé des premières mesures, magnifique unisson des altos et des violoncelles, a tout à la fois l’emphase et la sobriété d’un leitmotiv wagnérien. On regrette que cette œuvre, leçon d’harmonie et d’orchestration, soit si peu donnée en concert – L’Apprenti Sorcier, placé en dernière position de ce couplage, et sa fortune cinématographique ont eu raison d’une bonne partie de la production de Dukas.
L’Orchestre national des Pays de la Loire et son chef Pascal Rophé poursuivent leur troublante exploration des œuvres du tournant des XIXe et XXe siècles avec une partition plus immédiatement « française » à l’oreille : le ballet d’Albert Roussel intitulé Le Festin de l’araignée et créé en 1913 juste avant celui de Debussy (Jeux). Toujours aussi opulente, son orchestration se met au service de l’agrandissement d’un petit coin de verdure. La luxuriance des timbres, souvent traités en soliste, agit comme un microscope sur le monde mystérieux de nos jardins. Inspirée des Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre, cette pantomime au prélude enchanteur anime un bestiaire certes miniature mais dont le quotidien touche au tragique.
D’une inspiration (Corneille) à l’autre (Fabre puis Goethe), Pascal Rophé modèle son orchestre comme s’il interprétait une partition contemporaine, c’est-à-dire avec la précision d’un orfèvre. Que ce soit dans le choix des œuvres ou dans la direction artistique, Bis fait décidément du beau travail. © Elsa Siffert/Qobuz