Francesca Caccini fut l’une des principales personnalités artistiques à la cour des Médicis au cours de la première moitié du XVIIe siècle. De nos jours encore, il reste inhabituel pour une femme d’être aussi reconnue comme chanteuse professionnelle, compositrice publiée, et professeur de chant. La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina était l’objet d’une commande de Marie-Madeleine d’Autriche, qui avait épousé le grand-duc Cosme II de Médicis en 1608 ; il s’agissait de célébrer la visite du prince héritier de Pologne. L’ouvrage ne fut certes donné qu’une seule fois, mais avec un luxe inouï le 3 février 1625, avec en couronnement de spectacle un ballet équestre donné par rien moins que vingt-quatre cavaliers. Comme la majorité des opéras italiens de cette époque, La Liberazione exige de prendre des décisions artistiques délicates, de la part des musiciens d’aujourd’hui.
D’une part, l’œuvre comporte deux passages dans lesquels la compositrice exige de la musique… absente de la partition. Les passages manquants ont été complétés par de la musique tirée du Primo libro delle sinfonie e gagliarde de Salomone Rossi, contemporain de Caccini. Une autre décision concerne l’instrumentation. Les documents décrivant la représentation de 1625 comportent nombre de didascalies nous permettant de juger avec une certaine précision de l’effectif disponible – même s’il n’est pas forcément possible de tout suivre à la lettre. Par exemple, on ignore quelques instruments se chargèrent du continuo. Mais au même titre que Caccini attribua une tonalité spécifique à chacun des rôles principaux, l’Ensemble Huelgas a gardé une couleur instrumentale particulière à chaque personnage. Le personne d’Alcina est ainsi accompagné de cordes et virginal, celui de Ruggiero par quatre flûtes à bec, et la ligne de basse doublée d’une lyre de gambe. Neptune se voit allouer un trident de trois trombones, permettant de souligner la force masculine du personnage. La partition de La liberazione di Ruggiero se singularise par de nombreux contrastes entre les récitatifs, très allants et fort diversifiés, et des arias d’une grande qualité mélodique, des passages choraux revigorants sous forme de canzonettas ou encore des madrigaux chantés par des effectifs toujours en mouvement – dames de la cour, démons, arbres enchantés, chevaliers libérés, et dans le madrigal final, toute la petite troupe ; on y trouve aussi des sinfonias, de ritournelles et des intermèdes purement instrumentaux.
Enfin, les didascalies de l’époque comportent quelques précisions d’instrumentation, offrant à l’interprète de nos jours la certitude que les récitatifs devaient être réalisés de manière très colorée, richement instrumentée. Quant aux tonalités, elles obéissent à une structure très spécifique, chaque rôle étant pourvu de la sienne propre. Une manière fort moderne de singulariser chacun des personnages. © SM/Qobuz