Électron libre de la chanson, Brigitte Fontaine vieillit aussi bien qu'elle poussait à ses débuts avec ou sans Jacques Higelin, dans un bond de quarante-sept ans en arrière. Éternelle adolescente de soixante-quatorze printemps, fausse fofolle et vraie rebelle, elle signe tous les textes subversifs de ses chansons composées par son compagnon Areski Belkacem. Une petite entreprise en ménage dont le manège tourne toujours à plein régime.
Très en vogue depuis une décennie, la « reine des kékés » se révèle indispensable dans une époque où le verbe, dernier rempart avant l'aliénation, est aussi formaté de formica massif que sa parole est libre, instantanée et salvatrice. Bulletin de santé en treize étapes, J'ai l'Honneur d'Être passe par nombre de couleurs musicales et d'humeurs au fil du rock de « Crazy Horse » ou de l'arrière-plan oriental et électrique de « Au diable Dieu » (« Ce vieux mafieux / Roi des bigots, sectes d'escrocs / De collabos, niqueurs d'ados / Brûleur de vierges, lécheur de cierges »). Dans le duo piano-violoncelle de « Sur une mer gelée », l'écriture se fait poétique tandis que « Delta » célèbre les plaisirs charnels sur d'ondulantes gammes de paino. Aux « Crocs » qui font bobo les accords hérissés de guitare et à l'incandescent « Amour poubelle », un tapis mystérieux et sauvage.
D'une voix tour à tour vacillante ou hallucinée, la « mamie trash » de Saint-Louis en l'Île déclame ses visions d'une « Île au coeur d'enfant » et ignore avec superbe les avances épistolaires de « J'ai l'honneur d'être », tout aussi rock que le « Dîner en ville ». Aussi barrée qu'à ses débuts dans la déviance psychédélique « La Pythonisse », « la Fontaine » pointe l'amour viril dans « Les Hommes préfèrent les hommes » (« Les bijoux de la reine / Dans leur coffre d'ébène ») et cède pour les belles étoffes ou cocktails de « J'aime ». On ne se refait pas. Inimitable, c'est sur le ton tout différent de la confidence que la diva déjantée rend hommage à son « Père » et clôt ce bel album d'une oeuvre à nulle autre pareille.
© Loïc Picaud / Music-Story