Castor et Pollux n’est certes « que » le troisième opéra de Rameau, du moins dans la version originale de 1737. Mais dix-sept ans après sa création à l’Académie royale de musique, le compositeur remet l’ouvrage sur le métier et le « modernise » considérablement : suppression de certaines sous-trames, contraction de l’action et de la musique, réécriture orchestrale bien plus éclatante. Car en 1754, les modes ont changé, la Querelle des bouffons est passée par là et Rameau cherche à réaffirmer le caractère intimement français de sa musique dramatique, en opposition aux légèretés importées d’Italie et soutenues par Rousseau. Rousseau qui, par ailleurs, estime que la langue française ne se prête en rien au traitement musical : « …il n'y a ni mesure ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n'en est pas susceptible ; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue ; que l'harmonie en est brute, sans expression et sentant uniquement son remplissage d'écolier ; que les airs français ne sont point des airs ; que le récitatif français n'est point du récitatif. D'où je conclus que les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir ; ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux », écrit-il dans sa Lettre sur la musique française de 1753. Erreur, mon cher Jean-Jacques, et Jean-Philippe le prouve avec éclat dès son Castor et Pollux - tandis que la postérité renverra l’affirmation rousseauiste aux oubliettes de l’Histoire hormis pour l’aspect anecdotique. C’est bien la version remaniée de 1754, dont un manuscrit fort convaincant a récemment été redécouvert, que nous donne ici Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion. Du beau grand opéra français de l’époque baroque tardive, et une réponse cinglante aux idioties du promeneur solitaire ! © SM/Qobuz